Quand l’agroalimentaire truande

Peut-on vendre au même prix tout en gagnant plus ? L’équation fait tourner la tête, mais elle est tout à fait soluble… Soluble comme le poids des […]

Peut-on vendre au même prix tout en gagnant plus ? L’équation fait tourner la tête, mais elle est tout à fait soluble… Soluble comme le poids des produits de nos supermarchés qui semble s’être perdu dans la nature. Dans le Complément d’enquête de ce 1er septembre 2022 sur France 2, l’ONG Foodwach montre que les grandes marques alimentaires réduisent, depuis plusieurs mois et en catimini, les quantités des produits qu’ils vendent, tout en affichant les mêmes prix. Le nom de ce tour de magie : la « shrinkflation » du verbe anglais shrink, rétrécir – comprenez : on en met moins dans le paquet, mais sans baisser son prix.

L’ONG qui se bat pour une alimentation sans risques, saine et abordable épingle six marques bien connues : Lindt, Teisseire, Saint-Louis, Saint-Hubert, Salvetat et Kiri. Le consommateur qui fait la nique à l’inflation en croyant payer son chocolat ou son fromage au même prix que le mois ou le trimestre dernier devrait plutôt regarder le tarif au kilo de son produit préféré… et à la loupe de préférence. Si comparaison il y a, elle devrait sacrément le surprendre. Pourquoi une loupe ? Parce que les fabricants se plaisent à noircir en petit le dos de leurs emballages. Comme la pratique même contestable est tout à fait légale, ils ne se privent pas.

Ainsi, détaille Foodwatch, le prix est le même pour une boîte de Pyrénéens au lait de Lindt qui est néanmoins passé de 30 à 24 chocolats (Noël est bel et bien fini), a perdu 20 % de son poids (allez savoir comment) avec un prix au kilo qui a grimpé de 30 % ! La bouteille d’eau Salvetat de chez Danone est passée de 1,25 litre à 1,15 litre, avec son « Format généreux comme les gens du Sud » supprimé de l’étiquette. Le pot de margarine Saint-Hubert a perdu 10 grammes en deux ans et augmenté son prix au kilo de 18 %. L’emballage ne se tartine pas mais il est plus écolo, jure la PME… Kiri fait quasiment un copié-collé en mettant en avant les bienfaits de sa nouvelle recette. Aux truffes peut-être ?

En fait, cette diminution du poids s’associe malheureusement à une diminution de la qualité. On va par exemple mettre moins de lait dans une crème glacée qui n’en porte finalement que le nom puisqu’elle devient un dessert sans crème. Cette pratique a, elle aussi, son nom anglais : la « cheapflation » – de cheap, bon marché, autrement dit changer certains produits par des substituts moins chers. Le procédé est plus trompeur, car en remplaçant des ingrédients onéreux par des matières premières moins chères, on change les valeurs nutritionnelles du produit. Mieux vaut donc, à la limite, le soumettre à une cure d’amaigrissement !

Les industriels de l’alimentaire se réfugient derrière l’augmentation des coûts de production comme l’énergie ou le transport, ainsi que celui des matières premières. Compétitivité oblige, ils changeraient le grammage pour ne pas augmenter le tarif unitaire. Il n’empêche : en modifiant leurs recettes et en diminuant le poids de leurs produits, ils inventent l’inflation invisible. À quand le pain plus léger au motif qu’il est diététique ? Ou mieux, à cause d’une erreur d’étiquette ? Qu’on le veuille ou non, le truandage surfe bel et bien sur la crise. « Inflation masquée et toujours plus d’arnaques », dénonce ainsi sur son site la militante Foodwatch qui, pétition à l’appui, appelle les groupes alimentaires à plus de transparence. Les fabricants et les distributeurs doivent s’engager à informer plus clairement les consommateurs. Son arme : afficher le nom de ceux qui profitent de la crise pour s’en mettre plein les poches. Les voilà prévenus.