Santé mentale en population carcérale

Menée par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy) à la demande de la Direction générale de la santé, l’étude […]

Menée par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy) à la demande de la Direction générale de la santé, l’étude épidémiologique sur la santé mentale en sortie de prison vient d’être rendue publique. Les résultats confirment le constat d’une santé mentale dégradée pour une majorité de personnes détenues qui présentent un trouble psychiatrique ou lié à une substance.
La précédente étude d’envergure nationale menée en 2004, qui portait principalement sur la santé mentale des personnes à l’entrée en prison et au cours de leur incarcération, avait mis en évidence une surreprésentation des troubles psychiatriques, avec une gravité variable, chez les personnes en milieu carcéral par rapport à la population générale.
Les travaux de la feuille de route 2019-2022 relative à la santé des personnes placées sous main de justice ont mis en exergue la nécessité d’améliorer la connaissance de l’état de santé, notamment mentale, des personnes détenues. Ainsi, la Direction générale de la santé a mandaté la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy) pour conduire une nouvelle étude épidémiologique s’intéressant à la santé mentale en sortie de prison, avec également un soutien financier de Santé publique France.

Principaux résultats
Parmi les personnes ayant participé à l’étude, les deux tiers des hommes détenus en maison d’arrêt et les trois quarts des femmes sortant de détention présentent, à la sortie de prison, un trouble psychiatrique ou lié à une substance. La moitié des personnes interrogées est concernée par un trouble lié à une substance. Un tiers des hommes, et la moitié des femmes, sont concernés par des troubles thymiques (incluant la dépression). Un tiers des hommes, et la moitié des femmes, sont concernés par des troubles anxieux. 10 % des hommes, et un sixième des femmes, sont concernés par un syndrome psychotique. Un quart des hommes, et la moitié des femmes, sont sujets aux insomnies.
L’étude permet aussi également de caractériser la sévérité de ces troubles psychiques à la sortie : 32,3 % des hommes (et 58,8 % des femmes) sont considérés comme modérément à gravement malades, tandis que le risque suicidaire est estimé à 27,8 % pour les hommes (et 59,5 % pour les femmes), avec un risque élevé estimé respectivement de 8,2 et 19,1 %.
En ce qui concerne le parcours de soins, la majorité des participants et participantes ont pu bénéficier annuellement d’au moins une consultation par un médecin généraliste et par un professionnel de santé mentale (respectivement 89,6 % et 96,2 %). Plus d’un tiers a été suivi par un établissement médico-social spécialisé en addictologie (CSAPA, CAARUD). Dans les jours précédant la sortie, 22 % des répondants et 33,6 % des répondantes déclarent avoir un rendez-vous programmé avec un professionnel de la santé mentale, et 14 % des répondants et 27,5 % des répondantes avec un professionnel de l’addictologie. À noter que la part des personnes traitées par des médicaments de substitution aux opiacés est équivalente à l’entrée et au cours de la détention. Autre constat marquant : la prévalence des traumatismes subis dans l’enfance. 98,2 % des participants et 99,2 % des participantes ont été exposés à au moins un traumatisme (négligence ou abus) dans l’enfance.
En ce qui concerne le parcours carcéral, et malgré les efforts déployés par l’administration pénitentiaire pour maintenir les liens familiaux et renforcer les activités en détention, l’accès aux parloirs et à ces activités, considéré comme facteur de protection de la santé mentale, reste insuffisant, notamment dans un contexte de surpopulation carcérale : 57,3 % des hommes et 46,6 % des femmes ont eu accès aux parloirs, 66,6 % des hommes et 40,5 % des femmes ont eu accès aux activités sportives, 28,9 % des hommes et 42,7 % des femmes ont bénéficié d’activités socioculturelles.

Perspectives
À l’heure de l’élaboration de la nouvelle feuille de route interministérielle « Santé des personnes placées sous main de justice » 2023-2027 qui mobilise l’ensemble des acteurs de la prévention, de l’accompagnement et de la prise en charge des personnes placées sous main de justice, les résultats de cette étude seront largement partagés et, d’ores et déjà, confortent les orientations retenues sur :
• la prévention du suicide et l’amélioration de la prise en charge du risque suicidaire des personnes écrouées au travers notamment du développement des formations des professionnels de santé et pénitentiaires et de l’amélioration des outils mis à leur disposition. La mise en accessibilité pour les détenus du 3114, numéro national de prévention du suicide, s’inscrit dans ce cadre. La Direction de l’administration pénitentiaire a diffusé également auprès de ses services un plan national 2022-2023 relatif à la prévention du suicide en milieu carcéral ;
• l’amélioration du parcours de soins en santé mentale y compris dans sa dimension de continuité de la prise en charge en sortie de détention, avec notamment le développement d’équipes mobiles transitionnelles (EMoT) permettant de faciliter la prise en charge en santé mentale dans les six mois de la sortie ;
• l’enjeu crucial de la prévention et de la prise en charge des conduites addictives en détention qui mobilisent les acteurs associatifs et hospitaliers avec un rôle primordial des unités sanitaires notamment pour la coordination des interventions (CAARUD, CSAPA, etc.);
• le développement de la promotion de la santé en milieu pénitentiaire dans les suites d’un colloque national organisé en 2019 : santé mentale, santé sexuelle, prévention des conduites addictives, développement de l’activité physique et sportive, promotion d’une alimentation favorable à la santé, etc. Ces développements, travaillés en lien étroit avec l’administration pénitentiaire, visent notamment à améliorer les conditions de la détention dans un contexte de surpopulation carcérale, qui aggrave la promiscuité et réduit de fait l’accès aux activités, contribuant ainsi à des risques supplémentaires pour la santé : développement du stress, sédentarité, etc.
Les résultats de cette étude plaident également en faveur d’une réflexion sur les alternatives à l’incarcération pour les personnes ayant des troubles psychiques. Une expérimentation, copilotée par la Direction de l’administration pénitentiaire, est ainsi en cours depuis 2022 en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (projet AILSI, alternative à l’incarcération par le logement et le suivi intensif).