Politique : la logique macronienne sur les retraites

Suspendue depuis la pandémie de Covid-19, la réforme des retraites revient dans l’arène politique. Le président Emmanuel Macron n’y est pas allé par quatre chemins, annonçant […]

Suspendue depuis la pandémie de Covid-19, la réforme des retraites revient dans l’arène politique. Le président Emmanuel Macron n’y est pas allé par quatre chemins, annonçant le 12 septembre, avec une certaine gravité, qu’elle entrerait en vigueur l’été prochain, comme annoncé en juin. Avec une nouvelle hypothèse qui confirme un certain empressement : l’âge de départ pourrait même être fixé dès cet automne dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Inacceptable pour les syndicats… mais tout à fait faisable : le texte sur le budget 2023 sera présenté en Conseil des ministres dans une dizaine de jours et pourrait être adopté via le 49.3 dans un Parlement sans majorité absolue, comme le supposent nombre de députés, dont ceux de la majorité. Hier, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a confirmé que toutes les pistes étaient envisagées pour faire rapidement adopter cette réforme.

Sujet brûlant donc, moins sur le fond que sur la forme semble-t-il, l’essentiel étant de la faire passer au plus vite, avec ou non l’assentiment de la société civile et des partenaires sociaux. Face à la fronde annoncée des syndicats, les volontés affichées de bonne entente ou de co-construction risquent bien de voler en éclat. Car c’est bel et bien le fond qui pose problème. Le projet du gouvernement, un report progressif de l’âge légal (celui qu’il faut avoir pour toucher sa pension) à 65 ans possiblement ramené à 64 ans, met à mal ceux qui ont commencé à travailler tôt – et ils sont nombreux. L’autre scénario serait d’agir sur la durée de cotisation, relevée d’un trimestre tous les trois ans depuis 2020, une solution moins contraignante pour les classes moyennes et plus juste pour le président – ou plutôt moins injuste. Une troisième option serait une espèce de panaché des deux précédentes prenant en compte les carrières longues et fracturées. Aujourd’hui, pour partir à la retraite avec une pension à taux plein, il faut être âgé de 62 ans (ou 60 ans pour les carrières longues, la pénibilité et les régimes spéciaux) et avoir cotisé un certain nombre de trimestres. Ainsi, une personne née à partir de l’année 1973 devra travailler 172 trimestres (soit 43 ans) pour obtenir une retraite à taux plein, une personne née en 1963, 168 trimestres (42 ans), etc.

Le breuvage risque de ne pas passer à travers la gorge des syndicats qui, bien échauffés par le durcissement du texte sur l’assurance-chômage, préparent déjà leurs banderoles. Seulement, voilà : le réalisme macronien est guidé par une logique rationnelle et quasi mathématique. Logique des faits d’abord ; travailler plus longtemps, c’est créer plus de richesse ; avoir plus d’argent, c’est rembourser la dette et investir sur de nouveaux chantiers, dont ses priorités que sont la santé, la transition écologique et l’éducation… Logique des chiffres ensuite : selon le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites, l’excédent de plus de 3 milliards d’euros prévus en 2022 (lié à la croissance de 2021) ne va pas s’éterniser, un retour au déficit du système des retraites étant prévu à partir de 2023… jusqu’en 2030 dans le meilleur des cas et, sans réforme, jusqu’en 2050 ! D’où la relative sérénité du chef de l’État devant les conflits sociaux qui pointent : pour lui, l’utilisation du 49.3 pour contourner le vote du Parlement participe de ce même réalisme. Un tel passage en force signerait simplement son incapacité à obtenir un compromis avec ses opposants et suggérerait l’irresponsabilité de ces derniers. Faire vite et… aussi bien que possible, tels sont les mots d’ordre.

Si cette réforme sensible est « nécessaire » comme l’a plaidé le ministre du Travail Olivier Dussopt ou même « indispensable » pour le président du Sénat Gérard Larcher, le sujet risque d’enflammer la rue. Les syndicats ne veulent pas entendre parler d’un recul de l’âge de départ ou d’une hausse de la durée de cotisation. Force ouvrière s’est dite prête à appeler immédiatement à une mobilisation des salariés si de telles mesures sont prises. « Si en plus ils font l’erreur de mettre un amendement sur les retraites dans le PLFSS, ça va devenir explosif », a averti Éric Coquerel, le président LFI de la Commission des finances. Pour Laurent Berger, patron de la CFDT, passer une telle réforme aujourd’hui, c’est « jeter de l’huile sur le feu. » Vitesse oui, mais pas précipitation, a pudiquement conseillé Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale : « [Emmanuel Macron] raison de vouloir aller vite [mais] on lui demande quand même de respecter les partenaires sociaux ». Même le Medef a dit craindre une exacerbation des tensions sociales. Si La France insoumise et le RN ont clairement exprimé leur refus, les Républicains sont plutôt d’accord avec la majorité.

« Il y a des réalités et les choix sont simples : soit on augmente les cotisations, soit on diminue le montant des retraites, soit on agit sur la durée de cotisation. Notre choix, c’est d’allonger la durée de cotisation », a affirmé le président LR du Sénat. Mais pour Emmanuel Macron, cette logique âprement défendue est aussi politique, car il y va également de son autorité de chef d’État, un peu estompée dans le conflit en Ukraine, celle-là même qu’il a exercée lorsqu’il a protégé le pouvoir d’achat des Français en lançant son bouclier tarifaire. Cette fois, la réforme ne fera pas plaisir, mais l’intérêt est national, pour ceux d’aujourd’hui mais aussi les générations de demain, a-t-il martelé. Pour le président, il ne s’agit pas de faire des sacrifices mais des efforts, en tenant plus compte de l’intelligence collective que du contexte social. Aujourd’hui, il veut remplir les caisses de l’État plutôt que d’essayer de ne pas les vider. Son principal levier : les retraites. Pas d’état d’âme donc, mais ce petit message d’intention : « Si on pense qu’il faut l’unanimité pour bouger, on ne fait jamais rien. »