Exposition : le mot exact de Gainsbourg

La Bibliothèque publique s’associe à la Maison Gainsbourg pour exposer pour la première fois des manuscrits de Serge Gainsbourg provenant de son domicile, ainsi que de […]

La Bibliothèque publique s’associe à la Maison Gainsbourg pour exposer pour la première fois des manuscrits de Serge Gainsbourg provenant de son domicile, ainsi que de nombreux ouvrages de sa bibliothèque.
Parolier, compositeur, interprète, réalisateur, photographe et romancier, Serge Gainsbourg fut profondément influencé par la littérature et la poésie, sources d’inspiration de nombreuses chansons. Il était aussi collectionneur de petits papiers, autographes et paperolles, qui témoignent de son rapport quotidien, méticuleux et compulsif à l’écrit. Maître dans l’usage de la langue française, Serge Gainsbourg laisse derrière lui un impressionnant corpus de plus de 500 titres, écrits pour lui-même et pour ses interprètes, qui explique son influence dans la chanson française contemporaine.
Cette exposition entend plonger les visiteurs dans le paysage littéraire de Serge Gainsbourg en les accueillant par une vaste sélection d’ouvrages tirés de son hétéroclite bibliothèque. Elle viendra aussi mettre en lumière la création de son « double » médiatique, Gainsbarre, personnage sorti tout droit de ses chansons, dans la lignée des doubles littéraires du XIXe siècle, du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde au Horla de Guy de Maupassant. Enfin, elle donnera à voir la formidable productivité de l’auteur et sa capacité à faire mouche, en proposant un riche ensemble de manuscrits et tapuscrits annotés provenant de la collection personnelle de Charlotte Gainsbourg. Ces précieux documents, associés au film inédit d’Yves Lefebvre, permettront au public de comprendre le processus d’écriture et de composition de l’artiste. Toutes ces facettes, qui font de Serge Gainsbourg une figure littéraire et musicale unique aujourd’hui encore.
L’exposition est accompagnée d’une riche programmation associée.

Principaux axes de l’exposition
Artiste pluridisciplinaire, Serge Gainsbourg (1928-1991) a exploré des domaines aussi variés que la peinture, la musique, la littérature, la photographie, la publicité et le cinéma. Sa production d’auteur-compositeur, incontournable par sa richesse, la variété de styles et de couleurs musicales qu’elle aborde, continue de fasciner et d’inspirer.
En quête de modernité, l’auteur s’est constamment renouvelé au fil de ses 33 ans de carrière. Le sens de l’esthétisme irrigue son œuvre tout entière jusque dans la forme graphique de ses manuscrits, qui donnent à voir le cheminement de ses idées.
De ses 550 chansons, dont les titres couvrent les façades de l’exposition, beaucoup font partie de notre culture collective : « Le Poinçonneur des Lilas », « La Javanaise », « Bonnie and Clyde », « Initials B.B », « Je suis venu te dire que je m’en vais », « Ex-fan des sixties », « Aux armes et caetera », « Love on the Beat »… Toutes prennent racine dans un paysage littéraire où cohabitent références classiques et pop-culture. Reflet de ses goûts et de ses passions, la bibliothèque de Serge Gainsbourg nourrit son œuvre, mais aussi la construction de son personnage.
• Le paysage littéraire
Dans plusieurs entretiens, Serge Gainsbourg présente la littérature comme l’une de ses principales sources d’inspiration. Tout comme la peinture, elle appartient pour lui à la haute culture, qu’il oppose à la chanson, « art mineur » comme il aime à le répéter à l’envi, notamment lors du fameux, et houleux, entretien avec Guy Béart en 1986. Dans son panthéon personnel se croisent les classiques, de la poésie latine au théâtre élisabéthain, les poètes, Rimbaud et Baudelaire en place de choix, les textes sulfureux du marquis de Sade, les romantiques, les symbolistes, les surréalistes, ainsi que quelques grands auteurs de la modernité romanesque de la fin du XIXe et du XXe siècle.
La pop-culture y occupe aussi une place importante : biographies de musiciens, romans policiers, et bandes dessinées, ainsi que des livres d’art, de photo et de cinéma. Marqué par ses lectures de jeunesse, Serge Gainsbourg nourrit son écriture de nombreuses références, allusions et citations, plaçant l’ensemble de sa création dans un vaste réseau d’intertextualité.
• Du double littéraire au double médiatique
De Lucien Ginsburg à Gainsbarre, Guimbard sur ses faux papiers pendant l’Occupation, en passant par Julien Grix (ou Gris) le temps de quelques chansons restées inédites en 1955, le personnage complexe de Serge Gainsbourg s’est élaboré à travers une multitude d’identités. Sa bibliothèque lui fournit matière à la construction de son image et à ses métamorphoses : d’Adolphe de Benjamin Constant à Humbert Humbert chez Vladimir Nabokov, l’empreinte de certains personnages littéraires est manifeste. Il puise dans la littérature du XIXe la figure du double littéraire, que l’on retrouve chez Guy de Maupassant, Oscar Wilde ou encore Edgar Allan Poe. Dans son œuvre même, il brouille les pistes en incarnant un chanteur-narrateur ambigu. Pour la presse, il devient L’Homme à tête de chou, du titre de son album paru en 1976, emprunté à une sculpture de Claude Lalanne, évoquant le Frankenstein de Mary Shelley. Visionnaire dans son rapport aux médias de masse, à une époque où leur influence s’amplifie, il met en scène cette dualité en créant son double médiatique. D’abord personnage de chanson, Gainsbarre prend corps au contact des journalistes, pour finir par éclipser son créateur, dans la pure tradition des doubles littéraires, du Horla au Portrait de Dorian Gray.

La « méthode » Gainsbourg
Maître dans l’usage des mots, à l’écoute de son époque, Serge Gainsbourg a su accompagner toutes les avant-gardes. Auteur-caméléon, il s’adapte au style de ses interprètes comme aux couleurs musicales en vogue.
Entamant sa carrière dans la chanson rive gauche vieillissante, il bifurque vers le jazz-nouvelle vague. On le voit ensuite successivement s’aventurer dans les rythmes tropicaux, calibrer des tubes yé-yé, s’acclimater avec bonheur au rock, à la pop puis au reggae et au funk. Cette capacité à se réinventer sans cesse fait de lui le plus moderne des auteurs de sa génération.
Digne héritier du mouvement dada, des surréalistes et de la post-modernité, il est passé maître dans l’art du collage : il emprunte, recycle, détourne, adapte, pour finalement donner vie à un style qui lui est propre. Lorsqu’il abandonne la syntaxe, c’est au profit de trouvailles rythmiques ou sonores : rimes acrobatiques, en « ex » dans « Comment te dire adieu », allitérations en « av » pour « La Javanaise ». Consacré « artiste mineur de fond » par Claude Nougaro, son contemporain en modernité rythmique, Serge Gainsbourg a sans doute, quoiqu’il ait pu en dire, élevé la chanson au rang d’art majeur.
« Je t’aime… moi non plus » : associée à l’un des plus grands scandales de l’histoire de la chanson française, l’expression est passée dans le langage courant. Ce n’est pas la seule : « Les Dessous chics » ou encore « No Comment » apparaissent régulièrement dans la presse. Le sens de la formule de Serge Gainsbourg a su devenir langage commun.
Se présentant « plus consterné que concerné », l’auteur ne se positionne pas comme un artiste engagé. Toutefois, en phase avec leur époque, ses chansons se saisissent occasionnellement de grands sujets d’actualité : la libération sexuelle (« Je t’aime… moi non plus », 1969), le nationalisme, en détournant l’hymne national en reggae pour lui redonner une interprétation universaliste (« Aux armes et caetera », 1979), l’homosexualité en pleine épidémie du sida (la reprise de « Mon Légionnaire », 1987). Quoique radicales, ses positions ont accompagné quelques mouvements sociétaux. « La provocation et l’agression sont les dynamiques indispensables pour faire bouger les gens, affirmait-il. Bien sûr que ça m’amuse. Mais c’est aussi une sorte de vertige que de bousculer les conventions… Je crois que je suis en marge. Un jour j’ai comparé le show-business à un cahier d’écolier. J’écris dans la marge au crayon rouge… Je fais des pâtés. »

Serge Gainsbourg, le mot exact, Bibliothèque publique d’information, place Georges-Pompidou, Paris 4e Jusqu’au lundi 8 mai 2023.

Dédiée à la transmission de l’œuvre et de l’histoire de Serge Gainsbourg, la Maison Gainsbourg est une nouvelle institution culturelle qui propose une expérience sur deux sites distincts rue de Verneuil à Paris (7e).
– au 5 bis : la maison historique dans laquelle Serge Gainsbourg a vécu pendant 22 ans, intérieur légendaire resté intact depuis sa disparition en 1991 ;
– en face, au numéro 14 : un musée retraçant la vie et la carrière de l’artiste, une librairie-boutique et le Gainsbarre, café et piano-bar, permettent de prolonger la visite.